
Dans l’aube dorée de Cotonou, une silhouette de bronze se dresse, fière et indomptable, face à l’océan Atlantique. Elle incarne la force, la bravoure et l’audace d’une lignée de femmes qui ont bouleversé l’histoire de l’Afrique de l’Ouest : les Amazones du Dahomey. Mais derrière ce symbole national, une figure longtemps oubliée refait surface, portée par les vents de la mémoire et le souffle de la renaissance culturelle béninoise. Son nom : Tassi Hangbé. Reine visionnaire, stratège hors pair et pionnière du féminisme africain, Tassi Hangbé a défié les lois de son temps en prenant les armes et en fondant la première armée exclusivement féminine du continent. Effacée des livres d’histoire, mais immortelle dans les récits populaires, elle revient aujourd’hui hanter notre imaginaire, portée par un monument spectaculaire et par la soif de justice mémorielle d’une nouvelle génération. À l’heure où le Bénin réinvente son identité et célèbre ses héroïnes, il est temps de redécouvrir le destin fascinant de celle qui a brisé les codes et ouvert la voie à toutes les résistances.

Une Reine dans l’Ombre, une Histoire à la Lumière
Imaginez l’Afrique de l’Ouest au début du XVIIIe siècle. Le royaume du Danxomè, futur Bénin, est en guerre. Les hommes tombent sur le champ de bataille, les alliances se défont, les royaumes voisins menacent. Au cœur de la tourmente, une femme s’avance, brisant le silence des palais et les traditions millénaires : Tassi Hangbé. Sœur jumelle du roi Akaba, elle prend le pouvoir à la mort de ce dernier, dans une société où le trône appartient aux hommes et où la guerre est leur chasse gardée.
Mais Tassi Hangbé ne se contente pas de régner. Elle va révolutionner l’ordre établi, redéfinir la notion même de pouvoir, et inscrire son nom dans la légende en créant la première armée féminine d’Afrique de l’Ouest : les Agojié, que le monde occidental baptisera plus tard « Amazones du Dahomey ».
Naissance d’une Armée de Femmes
L’histoire de Tassi Hangbé commence dans la ruse et la bravoure. Lorsqu’Akaba meurt brutalement en 1708, la panique menace de détruire le royaume. Hangbé, pour sauver la dynastie, se fait passer pour son frère sur le champ de bataille, cachant sa féminité sous l’armure royale. Les soldats, galvanisés, remportent la victoire. C’est le début d’un règne aussi bref qu’inoubliable.
Hangbé ne tarde pas à imposer sa marque. Elle ouvre les portes de l’armée aux femmes, choisissant parmi les plus courageuses, les plus endurantes, celles qui n’avaient pas peur de l’effort ni du sang. Les Agojié reçoivent un entraînement militaire intensif : maniement des armes blanches, techniques de combat rapproché, endurance à la douleur, discipline de fer. Elles deviennent la garde rapprochée de la reine, puis une force de frappe redoutée dans toute la région.
Les Agojié, Mythe et Réalité
Les Européens, fascinés et terrifiés, les surnommeront « Amazones », en référence aux guerrières de la mythologie grecque. Mais les Agojié sont bien plus que des légendes. Elles participent activement aux campagnes militaires, défendent le royaume contre les envahisseurs, et impressionnent par leur bravoure et leur loyauté. Certaines sources affirment qu’elles étaient capables de courir des kilomètres, de franchir des obstacles infranchissables, et de combattre jusqu’à la mort sans jamais reculer.
Sous le règne de Tassi Hangbé, les femmes du Danxomè accèdent à des métiers jusque-là réservés aux hommes : la chasse, la forge, l’agriculture. La reine instaure même un conseil féminin, le Dadassi, pour conseiller la cour royale. C’est une révolution sociale autant que militaire.
L’Ombre de l’Oubli
Mais l’histoire n’est jamais tendre avec les pionnières. Après seulement trois ans de règne, Tassi Hangbé est renversée par son frère cadet, Agadja, qui efface méthodiquement toute trace de son passage au pouvoir. Les chroniqueurs royaux, sous la pression, la rayent des annales. Les récits oraux, eux, la préservent, la transforment en légende, en fantôme qui hante les couloirs du palais d’Abomey.
On raconte qu’avant de quitter le trône, elle aurait maudit ses ennemis, prédisant la venue des étrangers et la chute du royaume. Sa malédiction résonne encore dans les mémoires, comme un avertissement venu du fond des âges.
Renaissance d’une Icône
Trois siècles plus tard, le Bénin redécouvre son histoire. Les artistes, les écrivains, les militantes féministes s’emparent de la figure de Tassi Hangbé. Elle devient le symbole d’une Afrique fière, indépendante, capable de résister à toutes les oppressions. Les Agojié inspirent des films, des romans, des bandes dessinées, et même Hollywood, avec le film « The Woman King » qui, bien que centré sur une époque postérieure, fait revivre l’esprit des guerrières du Dahomey.
Dans les écoles, on enseigne désormais l’histoire de Tassi Hangbé. Les jeunes filles apprennent à voir en elle un modèle de courage et d’audace. Les mouvements féministes africains la citent comme une pionnière, une source d’inspiration pour toutes celles qui refusent de se soumettre.
Le Monument de l’Amazone à Cotonou : Une Renaissance de Bronze
En juillet 2022, le Bénin inaugure à Cotonou un monument spectaculaire : une statue de 30 mètres de haut, représentant une guerrière amazone, épée et fusil à la main, le regard tourné vers l’océan. Cette œuvre monumentale, installée face à la présidence, est rapidement devenue un emblème national.
La statue n’est pas officiellement celle de Tassi Hangbé, mais elle incarne l’esprit des Agojié, ces femmes qui ont défié l’ordre établi pour défendre leur peuple. Sa posture dynamique, sa coiffure traditionnelle, son pagne orné de motifs géométriques, tout rappelle la puissance et la noblesse des guerrières du Dahomey.
La nuit, illuminée par des projecteurs, la statue projette son ombre sur la ville, comme un rappel permanent de la force féminine. Les adolescentes viennent s’y recueillir, prêter serment lors de rites de passage, tandis que les touristes affluent pour admirer ce chef-d’œuvre de l’art africain contemporain.
Polémiques et Débats
Mais le monument ne fait pas l’unanimité. Certains critiquent son style, jugé trop moderne ou trop éloigné de la réalité historique. D’autres dénoncent son coût, estimé à plusieurs millions d’euros, dans un pays où la pauvreté reste endémique. Le gouvernement a dû préciser que la statue n’était pas la représentation d’une personne réelle mais un hommage collectif aux valeurs des Amazones.
Des voix s’élèvent aussi pour réclamer une reconnaissance plus explicite de Tassi Hangbé, dont le visage reste inconnu. Pourquoi ne pas lui consacrer une statue à son effigie, s’interrogent les militantes ? Pourquoi perpétuer l’anonymat d’une femme qui a tant fait pour son pays ?
Un Symbole pour le Futur
Malgré les controverses, la statue de l’Amazone est devenue un lieu de rassemblement, un espace de mémoire et de célébration. Les collectifs féministes y organisent des veillées, des lectures de poèmes, des performances artistiques. Les jeunes générations s’approprient ce symbole, le transforment, le réinventent.
La statue n’est pas seulement un hommage au passé. Elle est un manifeste pour l’avenir, un appel à l’émancipation, à la solidarité, à la résistance. Elle rappelle que l’histoire du Bénin, comme celle de tant d’autres pays, s’est aussi écrite au féminin.
Tassi Hangbé, la Reine Fantôme
Aujourd’hui, Tassi Hangbé hante toujours l’imaginaire béninois. Son nom circule dans les chansons, les contes, les manifestes. Elle est la preuve que l’on peut être effacée des livres d’histoire sans jamais disparaître vraiment. Sa légende, transmise de génération en génération, inspire le courage, la résilience, la capacité à se réinventer.
Dans un monde où les femmes continuent de lutter pour l’égalité, Tassi Hangbé est plus actuelle que jamais. Elle incarne la possibilité de briser les chaînes, de défier les interdits, de bâtir un avenir à la hauteur de ses rêves.
Conclusion : Un Héritage de Bronze et de Feu
La statue de l’Amazone à Cotonou, qu’elle la représente ou non, est le signe d’une renaissance. Elle donne chair et âme à toutes les Tassi Hangbé du passé, du présent et de l’avenir. Elle invite à regarder l’histoire autrement, à reconnaître la place des femmes dans la construction des nations.
Tassi Hangbé, la reine-guerrière, n’a jamais cessé de combattre. Son armée d’amazones veille encore, dans la pierre, le bronze, et surtout dans le cœur de celles et ceux qui refusent de se soumettre. Le Bénin, grâce à elle, a retrouvé une part de son âme. Et le monde entier, désormais, connaît son nom.
« Ce n’est pas du bronze, c’est de la colère solidifiée. »
Au pied du monument, sous le regard de l’Amazone, une nouvelle génération de femmes s’apprête à écrire la suite de l’histoire.