
À la fin du XIXe siècle, l’Afrique de l’Ouest est le théâtre d’une intense lutte pour le contrôle territorial et politique, exacerbée par l’expansion coloniale européenne. Dans cette dynamique, deux figures royales se distinguent par leur opposition frontale : Béhanzin, dernier roi indépendant du royaume du Dahomey (actuel Bénin), et Toffa Ier, souverain du royaume de Porto-Novo, allié stratégique de la France. Leur rivalité, à la fois politique, militaire et symbolique, illustre les tensions internes et externes qui ont marqué la période précoloniale et la colonisation. Cet article retrace en détail cette rivalité, en analysant les contextes historiques, les stratégies politiques, les conflits militaires, et les conséquences durables de cet affrontement. Il met en lumière les enjeux complexes entre résistance et collaboration, souveraineté et colonisation, tradition et modernité.
Contexte historique et géopolitique
Le Royaume du Dahomey : Puissance et Organisation
Le royaume du Dahomey, fondé au XVIIe siècle, est un État centralisé et militarisé situé sur le plateau d’Abomey, dans l’actuel Bénin. Il est réputé pour son organisation politique rigoureuse, son armée redoutable – notamment le corps des Amazones, des guerrières d’élite – et son rôle dans la traite négrière transatlantique.
Sous le règne de Béhanzin (1889-1894), le Dahomey est confronté à la pression croissante des puissances coloniales européennes, notamment la France, qui cherche à étendre son empire en Afrique de l’Ouest. Béhanzin incarne la résistance farouche à la colonisation, refusant de céder son indépendance.
Porto-Novo : un royaume côtier sous influence française
Porto-Novo, situé sur la côte atlantique, est un royaume plus petit que le Dahomey, mais stratégiquement important. Dirigé par Toffa Ier de 1874 à 1908, Porto-Novo adopte une politique pragmatique d’alliance avec la France. Toffa Ier cherche à protéger son royaume des ambitions expansionnistes du Dahomey et à bénéficier de la puissance coloniale pour assurer la stabilité et la prospérité de son peuple.
Cette alliance avec la France place Porto-Novo dans une position privilégiée, mais aussi dans une rivalité ouverte avec le Dahomey.
Toffa Ier : un roi pragmatique et allié des Français
L’ascension de Toffa Ier
Toffa Ier accède au trône de Porto-Novo en 1874. Conscient des menaces que représente le royaume du Dahomey, il choisit de s’allier avec la France, qui cherche à étendre son influence dans la région. Cette alliance lui permet de renforcer son autorité locale et d’obtenir une protection militaire contre les incursions dahoméennes.
Les traités avec la France
Toffa Ier signe plusieurs traités de protectorat avec la France, reconnaissant la souveraineté française sur Porto-Novo en échange d’une assistance militaire. Ces accords lui donnent un avantage stratégique face au Dahomey, mais impliquent aussi une perte partielle d’autonomie.
La consolidation du pouvoir
Grâce au soutien français, Toffa Ier consolide son pouvoir, modernise l’administration et développe le commerce. Il devient un acteur clé dans la politique coloniale française en Afrique de l’Ouest, jouant un rôle de médiateur entre les autorités coloniales et les populations locales.
Béhanzin : le dernier roi indépendant du Dahomey
L’accession au trône
Béhanzin succède à son père Glélé en 1889. Il hérite d’un royaume en pleine tension avec la France, qui cherche à imposer son protectorat. Béhanzin est déterminé à défendre l’indépendance du Dahomey et à résister à la colonisation.
La politique de résistance
Béhanzin renforce l’armée dahoméenne, notamment les Amazones, et organise la défense du royaume. Il refuse de signer les traités de protectorat proposés par la France et mène plusieurs campagnes militaires pour repousser les avancées coloniales.
L’affrontement avec Porto-Novo
Le conflit avec Porto-Novo, allié des Français, s’intensifie. Béhanzin revendique Porto-Novo comme une partie intégrante du Dahomey, ce qui provoque des tensions et des affrontements avec Toffa Ier.
La rivalité politique et militaire entre Béhanzin et Toffa Ier
Enjeux territoriaux
La rivalité entre Béhanzin et Toffa Ier est d’abord une lutte pour le contrôle territorial. Le Dahomey revendique Porto-Novo en raison de son importance stratégique et économique, tandis que Toffa Ier, soutenu par la France, défend son indépendance.
Affrontements armés
Des escarmouches et batailles éclatent entre les forces dahoméennes et porto-noviennes. Toffa Ier bénéficie du soutien militaire français, ce qui lui permet de repousser les attaques dahoméennes.
Dimension symbolique
Au-delà du conflit militaire, cette rivalité symbolise la division entre résistance et collaboration face à la colonisation. Béhanzin incarne la lutte pour la souveraineté, tandis que Toffa Ier représente une stratégie d’adaptation au nouvel ordre colonial.
La guerre franco-dahoméenne et la chute du Dahomey
Déclenchement du conflit
Le refus de Béhanzin de céder face aux exigences françaises déclenche la guerre franco-dahoméenne (1890-1894). Toffa Ier joue un rôle crucial en tant qu’allié stratégique des Français.
Les campagnes militaires
Les troupes françaises, mieux équipées, lancent plusieurs offensives. Malgré la résistance acharnée des Dahoméens, notamment des Amazones, les Français progressent.
La prise d’Abomey
En novembre 1893, Abomey, capitale du Dahomey, est prise et incendiée par les troupes françaises. Béhanzin est contraint à la reddition en 1894 et exilé.
Conséquences pour Porto-Novo
Porto-Novo reste sous protectorat français, avec Toffa Ier comme roi, bénéficiant d’une autonomie relative.
L’héritage de la rivalité
Impact sur la région
La rivalité entre Béhanzin et Toffa Ier a contribué à la chute du Dahomey et à la consolidation du pouvoir français dans la région. Elle illustre les divisions internes exacerbées par la colonisation.
Mémoire et symboles
Béhanzin est aujourd’hui un symbole de résistance et de fierté nationale au Bénin. Toffa Ier est reconnu pour sa politique pragmatique, qui a permis à Porto-Novo de préserver une certaine autonomie.
Influence sur la politique moderne
Les tensions entre résistance et collaboration, incarnées par ces deux figures, continuent d’influencer la politique et la mémoire collective au Bénin.
La rivalité entre le roi Béhanzin et Toffa Ier est un épisode clé de l’histoire de l’Afrique de l’Ouest à la fin du XIXe siècle. Elle reflète les tensions complexes entre souveraineté locale, résistance face à la colonisation, et stratégies d’alliance avec les puissances européennes. Comprendre cette rivalité permet de mieux saisir les dynamiques politiques et sociales qui ont façonné la région et dont les répercussions se font encore sentir aujourd’hui.