
Albert Einstein est sans conteste l’un des plus grands génies scientifiques du XXe siècle, célèbre pour sa théorie de la relativité et pour la formule emblématique E=mc2E=mc2. Pourtant, depuis les années 1980, une controverse persiste : et si une part importante de ce génie devait être attribuée à sa première épouse, Mileva Marić ? Cette physicienne et mathématicienne serbe, camarade d’études d’Einstein à l’École polytechnique fédérale de Zurich, a-t-elle été la véritable force intellectuelle derrière ses premières découvertes ? Cet article explore le parcours de Mileva, les preuves et témoignages qui alimentent ce débat, ainsi que les polémiques qui en découlent.
Mileva Marić : une scientifique brillante et pionnière
Née en 1875 dans l’Empire austro-hongrois (aujourd’hui en Serbie), Mileva Marić est une femme d’exception pour son époque. À la fin du XIXe siècle, très peu de femmes accédaient aux études supérieures, et encore moins dans des domaines comme les mathématiques et la physique. Pourtant, Mileva intègre en 1896 l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), où elle est la seule femme de sa promotion et seulement la cinquième femme à être admise dans cette institution germanophone prestigieuse.
Elle y rencontre Albert Einstein, qui commence ses études la même année. Tous deux partagent une passion pour la physique théorique et les mathématiques avancées, et entament une collaboration intellectuelle intense. Mileva étudie des sujets complexes tels que la théorie des nombres, la mécanique analytique, le calcul différentiel et intégral, la théorie de la chaleur et l’électrodynamique.
Une collaboration scientifique étroite
Les lettres échangées entre Mileva et Albert entre 1897 et 1902 révèlent une complicité intellectuelle profonde. Mileva apparaît non seulement comme une épouse, mais aussi comme une partenaire de recherche. Dans une lettre, elle écrit : « Nous venons de terminer un travail de recherche scientifique très important qui va rendre mon mari célèbre ». Son cousin et d’autres témoins rapportent qu’elle travaillait activement sur des calculs complexes et discutait avec Einstein des problèmes de physique.
Certains historiens et spécialistes avancent que Mileva a contribué aux articles fondateurs d’Einstein publiés en 1905, notamment ceux sur la théorie de la relativité, le mouvement brownien et l’effet photoélectrique. Abraham Joffe, physicien russe, affirmait avoir vu les manuscrits originaux signés « Einstein-Marić », ce qui suggère une co-rédaction. Toutefois, ces documents n’ont jamais été retrouvés.
Le rôle de Mileva dans la théorie de la relativité : mythe ou réalité ?
Le débat sur la contribution de Mileva à la théorie de la relativité est au cœur de la controverse. Certains chercheurs estiment que la complexité des mathématiques utilisées dans ces travaux nécessitait une collaboration étroite, et que Mileva, en tant que mathématicienne compétente, a joué un rôle clé dans les calculs et la formulation des idées.
D’autres, cependant, considèrent que son rôle a été limité, voire symbolique, et que les avancées majeures sont le fruit du génie individuel d’Einstein. Ils rappellent que Mileva n’a jamais obtenu son diplôme à l’EPFZ, interrompant ses études en 1901 après être tombée enceinte, et qu’elle n’a jamais publié de travaux scientifiques indépendants.
Une femme effacée par l’histoire ?
La trajectoire de Mileva Marić est aussi celle d’une femme brillante dont la carrière a été sacrifiée pour sa famille. Après son mariage en 1903 et la naissance de leurs deux enfants, elle abandonne ses ambitions académiques. Le couple divorce en 1919, et Mileva vit ensuite une vie relativement discrète, loin des projecteurs scientifiques.
Certains historiens dénoncent l’effacement systématique des femmes dans l’histoire des sciences, et voient en Mileva un exemple de cette injustice. Sa contribution aurait été minimisée, voire occultée, par la postérité et par Einstein lui-même, qui n’a jamais reconnu publiquement son rôle dans ses découvertes.
Polémiques et controverses autour de la reconnaissance de Mileva
Plusieurs éléments alimentent la controverse :
- L’absence de preuves formelles : aucun document officiel ne mentionne explicitement Mileva comme co-auteure des articles d’Einstein. Les manuscrits originaux signés par les deux n’ont jamais été retrouvés.
- Les lettres privées : les correspondances montrent une collaboration, mais leur interprétation varie selon les auteurs. Certains y voient une complicité scientifique, d’autres une simple complicité affective et intellectuelle.
- Les témoignages familiaux : des proches de Mileva affirment qu’elle était une égale dans les recherches, mais ces récits sont parfois contestés pour leur subjectivité.
- Le contexte social et culturel : à l’époque, la place des femmes en science était marginale, et leur reconnaissance difficile. Mileva a dû faire face à ces barrières, ce qui complique l’évaluation de son rôle réel.
- La gestion du prix Nobel : Einstein a reçu le prix Nobel en 1921 pour l’effet photoélectrique, mais Mileva n’a jamais été reconnue, ce qui alimente les soupçons d’injustice.
L’héritage ambigu de Mileva Marić
Aujourd’hui, la figure de Mileva Marić suscite un regain d’intérêt. Des biographies, des articles et des documentaires tentent de réhabiliter son image et de souligner son rôle potentiel dans les débuts de la physique moderne26. Elle est devenue un symbole des femmes scientifiques oubliées et des collaborations invisibles.
Cependant, le débat reste ouvert, faute de preuves irréfutables. La science moderne reconnaît l’importance de la collaboration, mais la paternité des découvertes reste souvent attribuée à une seule figure emblématique, ici Einstein.
Un génie à deux voix ?
La question « Et si le cerveau derrière Einstein était sa femme ? » ne trouve pas de réponse définitive, mais elle invite à réfléchir sur la complexité des collaborations scientifiques et sur la place des femmes dans l’histoire des sciences.
Mileva Marić apparaît comme une femme d’un grand talent, dont la contribution intellectuelle a probablement nourri les premières idées d’Einstein. Qu’elle ait été co-auteure ou muse, son rôle ne peut être ignoré. En revisitant cette histoire, on reconnaît aussi l’importance de rendre justice aux figures féminines souvent éclipsées. Plus qu’une controverse, c’est un appel à une histoire plus inclusive, où les génies ne sont pas des êtres isolés, mais des esprits en dialogue.